Chemins et brouillard Titre original : Djadeh-va-Meh
Chahla Chafiq Traduction du Persan par Zeinab Zaza Editions Metropolis, 2005 (1998 pour la première édition)
Je crois que ce qui est le plus frappant dans tous les textes que je lis, c’est de me rendre compte comment dans les pays aux libertés restreintes, se sont majoritairement les femmes qui témoignent de la réalité de la vie. Pas exclusivement, bien sûr. Je crois que c’est parce que dans ces régimes, les femmes ne sont pas toujours considérées comme dangereuses tandis que les intellectuels hommes sont vite mis en prison ou exécutés. Dans tous les cas, je me fais la même réflexion que lors de mon passage en Chine : dans certains endroits du globe, pour écrire quoi que ce soit sur son pays, il faut être en exil. Chahla Chafiq a choisi la France. C’est pourtant en persan qu’elle écrit, la langue de ses origines. Celle que les iraniens non francophones pourront lire. Et elle raconte. Pas des histoires de vie, comme dans Chinoises ou dans Contes du Chemin de fer. Ce sont des tranches de vies. L’impression est vraiment différente. Je ne sais même pas à quel point ce sont des témoignages ou des fictions inspirées du réel. Parfois, ça semble un peu décousu. Au présent, au passé, la temporalité est floue. A la première ou à la troisième personne, on ne sait plus si Chahla Chafiq raconte sa vie avec la distance de la conteuse (pour éviter aux sentiments de l’empêcher d’écrire) ou si ces histoires sont celles de tous les iraniens arrachés à leur pays. Ou les deux. La composition est d’une simplicité déroutante, et dérangeante. Deux parties : Exil, et Deuil. Comme si ces deux mots seuls suffisaient à exprimer la réalité des Iraniens. Tous semblent confrontés à ces drames, et à leurs conséquences, qu’ils soient partis ou restés. L’auteure parle de ceux qui sont partis. De la peur. Des difficultés à s’habituer à une nouvelle ville (aussi prestigieuse soit-elle), à un nouveau mode de vie, à une nouvelle langue. Et aussi à la douleur de la séparation, aux déchirements de la cellule familiale (décès, trahison, oubli). Par leur regard, on comprend que de l’autre côté de la frontière, la vie n’est pas forcément plus simple. Dans la seconde partie, c’est de séparation encore qu’il s’agit, mais d’une séparation tellement plus définitive… (quoi que ?…). L’auteure parle de sa douleur, mais on comprend en filigrane la douleur de toutes celles et tous ceux qui ont eu à subir le même genre de rupture. La perte d’un proche. Un enfant, une mère, un frère. J’ai eu la chance de ne pas vivre ce genre de drame, mais j’ai senti la portée universelle de ce message. Et à travers toutes ces douleurs, la vie malgré tout, qui palpite, qui s’accroche ! La Lumière dans un tunnel sombre, celle qui nous permet d’avancer, toujours. De trouver un sens. Ce livre ne m’as pas bouleversée à proprement parler, car l’auteure a une plume sobre, qui évite le mélodrame et le spectaculaire. La souffrance, on la ressent à travers le voile de la vie. Comme faisant partie intégrante de la vie. Ces blessures, on les a. Quel que soit le pays duquel on s’expatrie, quelle que soit la perte que nous ayons à surmonter. C’est ce message de sagesse qui, en moi, a le plus fortement résonné. Dans la prochaine étape, l’exilée reviendra dans son pays : une autre forme de confrontation à la séparation qu’il me tarde de découvrir. Je vous retrouve dans deux semaines !