Le Jeu des Sabliers – Jean-Claude Dunyach

Le Jeu des Sabliers

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Jean-Claude Dunyach

Première édition : 1986. Lu chez Folio SF (Gallimard) – 2012 « De mystérieux sabliers. Une étrange prophétie. Et des cartes de tarot, qui contiendraient peut-être la clef de l’énigme… ». Voilà. Deux lignes. Deux lignes en quatrième de couverture. Il n’a pas fallu plus pour que je fasse voler en éclat mes bonnes intentions, celles de ne pas acheter de livre aux vues de ma PAL que je trouve déjà monumentale (180 bouquins en attente). Deux lignes pour me convaincre que ce fragment de l’univers intérieur tel que Jean-Claude Dunyach l’exprime depuis plus de vingt-cinq ans était pour moi. Nous parlons ici de l’histoire de Jern, Olym, Aléna et Dorian. Quatre personnages aux intérêts différents, qui ne se seraient pas rencontrés s’il n’y avait eu cette prophétie et ce jeu de Tarot, dont certains Atouts leur ressemblent tellement… Olym décide alors de les réunir dans une quête qui doit les mener au bout de leur réalisation personnelle. Si tant est, bien sûr, qu’ils en surmontent les épreuves. J’avoue que l’amoureuse des symboles et des univers ésotériques que je suis a été fort intriguée par ce roman qui en fait sa substance. Il m’a pourtant fallu un peu de temps pour entrer dans la proposition de l’auteur. Pour plusieurs raisons, je pense. La première c’est que les personnages ne sont pas franchement sympathiques. Ils ne sont pas antipathiques non plus. Ils sont humains. Avec des qualités, sans doute, mais aussi et surtout des défauts, exacerbés par la peur et le refus de comprendre et de communiquer pleinement avec l’autre. Autant vous le dire, quelques gifflent se perdent ! Ce qui est effrayant, c’est que ça correspond beaucoup trop à la façon dont les gens mènent leur vie dans la réalité : peur et fermeture de l’esprit. Il m’a été plus facile de m’immerger dans le roman après avoir compris ma gêne à ce propos.  J’ai pu comprendre que la peur en particulier était précisément le moteur de l’action. La peur du temps qui passe, plus ou moins vite. La peur de perdre sa liberté, la peur des chaînes et la peur de ne pas suffire. La peur de la condition humaine, finalement, qui pousse à toutes les folies. J’ai retrouvé là l’un des thèmes-clefs de la science-fiction. Dunyach propose aussi une piste de réflexion intéressante sur la notion de Temps. Ça m’a déstabilisée, ça aussi. Il est des choses très abstraites que j’ai parfois du mal à concevoir. Parce que le style est maîtrisé, j’ai quand même réussi à me raccrocher aux branches et à ne pas me laisser semer. Je me rends compte à quel point il doit être compliqué d’écrire des romans de science-fiction : il faut pouvoir aborder des notions très abstraites, parfois issues de questions scientifiques, tout en restant à la portée du lecteur, quelle que soit sa formation ! Ici, j’ai la chance de m’y connaitre un peu en Tarots de Marseille (et aussi en mythes que Dunyach y a associé) ce qui m’a permis de saisir au vol les bribes d’information qu’il a bien voulu donner en pâture au lecteur. Cela dit, cette incompréhension dans laquelle le lecteur est maintenu pendant un moment m’a permis de me sentir plus proche d’un ou deux personnages, également frustrés des mystères entretenu par ceux qui veulent conserver un sentiment de maîtrise sur la situation (et que j’ai bien eu envie de dérouiller, moi aussi). Enfin, l’auteur amène une théorie sur la création des univers (disons du Multivers) qui a pour le coup emporté ma complète adhésion ! Je préfère ne pas vous en dire plus, car ce serait gâcher un superbe moment du roman, mais je m’en suis sentie très proche, dans la mesure où ma conception de l’imaginaire lui ressemble énormément. En bref, il m’a fallu un moment pour me laisser porter pleinement par l’histoire, car j’ai énormément de mal avec les romans qui vous emmènent dans des lieux dont vous ne parvenez pas à discerner les traits. Pour autant, je souhaite le voir comme un point positif : quel intérêt y aurait-il à lire des livres si on arrive si facilement et systématiquement à en distinguer les enjeux ? Pour le reste, quand j’ai pu lâcher prise, quand j’ai trouvé à qui m’identifier et me greffer pour faire le voyage, j’ai pu apprécier pleinement les questionnements qu’il a suscités en moi et dont je n’ai présenté ici qu’une partie. Ce roman est le premier publié par Dunyach. C’était en 1986. Sans doute les autres écrits de l’auteur sont mieux maitrisés en terme de style (je ne les ai pas encore lus). Sans doute n’a-t-il pas le panache ou l’envergure d’autres romans de SF. Après tout, il ne s’agit que d’une œuvre en un seul tome. Pourtant, parce que ses protagonistes sont de simples humains, pas vraiment des héros, il résonnera dans beaucoup de sensibilités. Et à l’instar des symboles qui sont sa matière première, je pense qu’il est atemporel.