Saveurs assassines, une enquête de Miss Lalli
Titre original : The page 3 murder. A Lalli mystery
Kalpana Swaminathan
Traduit de l’Anglais (Inde) par Edith Ochs
Première parution en 2006, 2007 pour l’édition Française
Edition : Le Cherche Midi
Ayant découvert la richesse des romans policiers indiens, j’ai eu envie de m’attarder un peu dans ce pays. J’y ai découvert à quel point la littérature anglaise avait pu influencer les arts de la péninsule : le goût pour les meurtres en huis clos, avec nombre de suspects limités et impossibilité de s’enfuir sont une spécialité d’une Reine du Crime qui fait encore mouche (je parle bien entendu d’Agatha Christie) et il semble que l’Inde s’en découvre une en ce début de XXIe siècle.
Mais d’Hercule Poirot point, dans ce roman gastronomique des saveurs assassines : c’est une Miss Marple à l’indienne, qui signe là sa première résolution de meurtre romancée. Le scribe n’est autre que sa nièce, écrivain de son état… Mais revenons-en un peu à l’histoire en elle-même…
Ce roman constitue la première apparition de Miss Lalli dans l’œuvre de Kalpana Swaminathan. Il s’agira donc de résoudre une enquête, bien sûr, mais aussi de présenter son éminent personnage récurrent, accompagné de sa nièce, la narratrice. Une bonne première partie du livre est consacrée à cette mise en contexte. Quant au reste, il s’agit de la rencontre dans une grande et anciennement lugubre maison d’une douzaine de protagonistes dans le cadre d’un week-end gastronomique, qui va bien sûr virer à l’aigre. Et dont pour des raisons climatiques personne ne pourra s’échapper. Une murder party dans la plus pure tradition.
J’ai aimé y retrouver cette ambiance à la Agatha Christie, mais qui n’emprunte pas tous ses codes à la Reine du Crime. Ici, le meurtre n’est pas le cœur du propos. C’est un des sujets, parmi tous les autres. Et tous ces autres, ce sont les secrets que l’on veut dissimuler, et qui en huis clos ne manquent pas de refaire surface. Ici, ce n’est pas le meurtre qui fait rejaillir tous ces secrets. Il n’en est que l’expression. L’expérience de la promiscuité, en revanche, permettra les échanges surpris au détour d’une porte, les rencontres plus ou moins agréables, les jeux d’ombres et de courants d’air. Tout cela sous un climat électrique, aussi bien dans le ciel que sur terre. Evidemment, le tonnerre gronde, et la tempête quand elle éclate ne permet plus la fuite ou la marche arrière.
C’est bien un roman de relations interpersonnelles que nous livre l’auteure, et elle les installe dès l’introduction avec lenteur et patience, jusqu’au point culminant, le plein centre, le banquet du Millénaire. Je n’ai pu m’empêcher ici de repenser à L’Assommoir, d’un certain Emile, qui rencontre une apogée similaire. A ce moment du récit, le point de tension est à son maximum. D’ailleurs, le point de rupture arrive quelques pages plus tard, et c’est à partir de ce moment-là que tout s’enchaine jusqu’à l’inexorable résolution, menée de main de maître par Miss Lalli.
Un mot de la narratrice, qui n’a pas de nom. Qui est un pronom personnel, « Je » (vous ? moi ?). Vous savez sans doute déjà, si vous suivez un peu mes chroniques, que ce mode de narration me convainc tout particulièrement. Je le trouve d’une exceptionnelle fluidité. Ce roman ne déroge pas à cette règle personnelle. Le personnage n’a pas de nom, mais son caractère transpire à travers son récit. Sa personnalité est forte, et c’est bien par son regard de témoin (mais aussi d’acteur pleinement impliqué) que j’ai pu suivre l’action. Oui, je me suis pleinement identifiée. J’ai investi ce vaisseau entre deux univers (le narrateur, Vaisseau des deux mondes… sympa comme article potentiel !). Et j’ai suivi l’action au plus proche, en plein cœur. De façon sans aucun doute édulcorée, j’ai fait miens les sentiments qui ont agité « Je », ses colères et ses interrogations. Particulièrement celles qui concernent Lalli, la tante un peu particulière, que j’ai eu du mal à aimer avec son caractère tellement unique, mais que j’ai eu l’opportunité d’apprécier. Je me demande si dans les romans qui suivent, je retrouverai le binôme, ou seulement la tante… (une seule solution : lire lesdits romans qui suivent).
Alors non, pas de descriptif des bas-fonds de l’Inde. En revanche, une carte détaillée par le menu des tréfonds de l’âme, des histoires de chacun (celles qu’on ne soupçonne pas) et de la fange qui en tapisse le sol. Et ce, quelle que soit l’apparence de la coquille. J’ai aimé… j’en lirai d’autres volontiers !